Les artistes, ça n’existe pas !
Quel artiste ! Vous êtes artiste, comme c’est original ! Ah si j’avais pu, moi aussi ! Quel talent ! Je n’ai pas assez de talent pour être un artiste ! Vous avez une âme d’artiste ! Vous, vous êtes un artiste ! Vous êtes différent, vous êtes un artiste ! Ah les artistes, ils ne sont pas comme nous !
Et bien non ! Tout cela est faux ou malvenu ! Nous naissons tous identiques, avec nos petites obligations naturelles, survivre, protéger notre propre espèce et se reproduire. Voila les trois fonctions qui se retrouvent dans la cellule la plus basique, la toute première. Tout le reste est superflu, ou dérivé de ces trois premières fonctions. Et l’art dans tout ça ? Et bien l’art n’est rien d’autre qu’une chose indéfinissable et impalpable puisqu’il n’existe qu’à partir du moment où l’on décide de le pratiquer, de faire ou de penser quelque chose en s’extirpant de ses trois fonctions primaires, de divaguer, de s’extraire du sens que l’on essaie de donner à ce qui n’en n’a pas. Être un artiste, ça ne veut rien dire ! Pratiquer l’art, c’est tout autre chose. Et tout le monde le fait au quotidien. Le problème avec l’art, c’est qu’il est si difficile à définir que tout et son contraire sont dits le concernant.
Les artistes sont, dans leurs extrêmes, soit considérés comme des génies, soit considérés comme des fous qui n’ont pas le sens des réalités. Dans les deux cas, ce sont donc des gens « à part ».
Et là tout est dit ! Car dans ce cas, on choisit d’être artiste ou non, on choisit une vie de bohème, de parvenu, d’inconscient, de rêveur, ou on préfère ne pas considérer la question, faute de temps, de talent, d’envie !
Mais c’est bien là, où chacun et chacune se trompe. Pratiquer l’art n’est pas réservé à un petit nombre. Il n’est pas réservé du tout. Il est accessible à tous et à toutes, à n’importe quelle seconde de notre vie, dès qu’on l’a décidé. Que faut-il alors pour pratiquer l’art ? Prendre le temps, le vouloir, se laisser aller et surtout aller au bout de ce qu’on veut accomplir, jusqu’au bout de soi-même, car contrairement à nos autres actions quotidiennes, l’art n’a pas de règles, pas de limites, il en appelle simplement à l’émotion, la subjectivité la plus totale, la sensibilité personnelle, bref l’art peut-être partagé ou non, solitaire ou collectif.
Alors pour beaucoup sans talent, on ne peut pas être un artiste ! Mais vu qu’être un artiste est une chose qui n’existe pas, on peut tout dire, tout inventer.
Le talent ! Voila encore un mot galvaudé qui vient mettre une barrière supplémentaire, à qui veut pratiquer l’art.
Le talent, si tant est qu’il existe, n’est pas réel. Nous sommes tous différents. Chacun, sa sensibilité. Combien d’expos photos ai-je fais avec ma chérie et nous ne nous arrêtions pas du tout sur les mêmes clichés. Parfois même nous étions surpris par les goûts de l’autre.
Alors où est le talent dans ces cas là ? Qui a raison ? C’est l’émotion qui prime. La réaction. Réagir à quelque chose c’est déjà renvoyer un message à celui ou celle qui a conçu l’objet de notre réaction. Il s’est passé quelque chose. Et l’on trouvera toujours au moins une personne au monde qui aimera ou vibrera pour quelque chose que l’intégralité des autres déteste. Le talent…
J’ai, par le passé, écrit de nombreuses chansons. Mes premières compositions sont très vite devenues insupportables à mes oreilles car j’avais évolué et écrit de nouvelles choses très lointaines de mes inspirations passées. Mais lors des concerts, chaque personne avait ses préférences, et pour certaines, les « horreurs » à mes yeux que j’avais produites étaient des « chefs d’œuvre » à leurs yeux. Et mes chansons préférées ne plaisaient qu’à un tout petit nombre. Rien n’était donc quantifiable, mesurable, logique, attendu… C’est aussi ça la magie de l’art.
Dès lors que l’on a décidé de créer, une magie s’opère en nous. On rentre en phase avec soi-même, on va chercher au plus profond, tout en s’extrayant du monde, ou en le pénétrant plus profondément pour voir ce qui était jusqu’ici invisible.
Pratiquer l’art, c’est avant tout, se faire plaisir à soi-même. Se transcender, faire quelque chose que l’on ne fait pas d’habitude, pour éprouver du plaisir, une satisfaction personnelle que l’on pourra partager ou non.
On ne pense pas au talent, au concept d’artiste et tout ce que la lourdeur de cette notion entraîne. Faire de l’art, c’est n’avoir aucune contrainte, aucune pression, se lâcher, faire ce que l’on souhaite faire, tout de suite, sans réfléchir aux conséquences, au devenir de notre action.
Et c’est peut-être là le plus grand mal de notre société aujourd’hui.
En qualifiant d’artiste celui qui pratique l’art, on a sectorisé, segmenté, stigmatisé, une certaine catégorie de personnes tout en s’en excluant.
Comme s’il y avait les artistes et les autres. Comme si c’était impossible de devenir artiste si on ne l’était pas déjà. Comme si c’était génétique, pré déterminé.
Et tout est comme ça ! C’est très pervers ! Lisez les classiques ! Écoutez la musique classique ! Le jazz, réservé aux oreilles averties ! Les grands peintres, les grands courants, l’impressionnisme, le cubisme, le débilisme !
Tout ça semble tellement figé ! Qui sont ces maîtres qu’on a défini comme tels et qui semblent trôner tout en haut, intouchables, inatteignables, dont personne ne pourra arriver à la cheville.
Les génies, les visionnaires, les avant-gardistes, les artistes !
Tout ça est lourd et donne une vision erronée de l’art, comme inaccessible, réservé à une élite !
Quand je dis que je suis écrivain, soit ça fascine, soit ça fait sourire. Mais très peu me demandent ce que ça fait que d’écrire une histoire, très peu me demandent comment j’ai choisi de faire ça, très peu imaginent pouvoir faire pareil !
Et voila, on tombe dans le plus répandu : « L’art, j’adore ça mais j’en suis incapable. »
Pas étonnant, avec toute cette pression sociale, avec tout le snobisme qui entoure cette pratique, pourtant naturelle ! Non, pratiquer l’art n’est pas quelque chose d’original, mais plutôt d’évident. Ce qui est original, c’est de croire le contraire, et de penser que c’est normal de vivre une vie entière sans prendre une seule seconde pour se demander ce que l’on aimerait faire, là tout de suite, qui l’on est vraiment. Car l’art c’est aussi apprendre à se connaître, et ça fait tellement de bien !
Tout le monde peut pratiquer l’art, quelque soit son niveau technique, ses connaissances, l’art commence dans le simple fait de faire quelque chose qui n’a pas de sens pour nos besoins primaires, souvenez-vous, se reproduire, préserver l’espèce et survivre. Écouter une musique, regarder un tableau, lire un livre, assister à un spectacle… tout ça vous procure forcément des émotions, alors pourquoi ne pas essayer de le faire soi-même, juste pour voir, juste pour ressentir, ne serait-ce qu’une seconde l’émotion que cela peut procurer de créer quelque chose, juste en prenant le temps de se livrer à soi-même.
Aujourd’hui, internet et les réseaux sociaux ont permis à beaucoup de gens de s’exprimer librement et de le diffuser dans le monde entier. Les puristes y voient là une régression, un amas d’amateurs, d’artistes non inspirés, de pseudo artistes, d’usurpateurs. Moi j’y vois de la richesse, du partage, de l’envie et quelque soit l’émotion que cela peut nous procurer, souvenez-vous, le talent n’existe pas ou est simplement le résultat d’une alchimie très personnelle produite par une ou plusieurs personnes sur une autre ou plusieurs autres personnes, rien de plus, c’est une grande avancée pour l’art. Alors cessons de chercher la perfection, elle n’existe pas et le plus grand des artistes reconnu de ses pairs, peut sans aucun problème m’ennuyer au plus haut point. Je déteste Céline Dion, j’adore Didier Super, je déteste la peinture, je ne lis pas Musso ni Levy, alors que ce sont les écrivains les plus vendus en France, j’adore la science fiction, et pas les polars, J’aime les films d’art et d’essai mais j’aime aussi des grosses productions hollywoodiennes quand elles sont réalisées avec passion. Mais tout cela fait partie de mes goûts, les miens, pas ceux des autres, alors si je dois faire de la musique dois-je faire du Céline Dion ou du Didier Super ? Et si mon voisin adore Céline Dion, dois-je le blâmer ? Tout est toujours lié soit au snobisme soit à l’envie de prendre du plaisir. Et pour ça il faudra chercher ce qui nous correspond.
L’art est subtil, on ne peut expliquer les choses qui nous font vibrer, ni pourquoi elles le font, alors en consommer ou en produire reviendra toujours au même point, tout le monde peut faire de l’art. Il n’est pas mesurable, il est juste épanouissant.
Frédéric Rocchia